Le jour où j’ai un ballon entre les mains, je suis directement piquéE.
Aujourd’hui, il est difficile de dire qui je suis, car je ne suis plus basketteuse. Mais je me suis toujours présentée comme telle.
Je grandis en Picardie à côté de Nogent-Sur-Oise et je suis l’aînée d’une famille de cinq enfants. J’ai trois sœurs et un petit frère, le benjamin de la famille. 15 années nous séparent, donc en réalité, nous grandissons un peu dans une maison de femmes. Néanmoins, je suis très proche de mon père. Étant jeune, je suis avec lui tout le temps. Il ne fait pas de sport en compétition. Il est davantage comme tous les sportifs du dimanche. Nous allons souvent courir ensemble, nous regardons la formule 1, les matchs de football, etc.
Ma mère, elle, veut absolument un garçon. Elle dit que si celui-ci arrive deuxième, elle n’aura que deux enfants et s’il arrive dixième, elle en aura dix. Finalement, il arrive cinquième. Mais avant cela, au sein de la famille, tout le monde lui disait : “mais tu n’as pas besoin d’un fils, tu as déjà Jo”. Je suis vraiment le petit garçon manqué qui aime traîner avec son père. Avec toutes les caractéristiques “masculines” que l’on peut imaginer. Nous sommes complètement en phase.
Je ne fais pas encore de sport en club. Je pratique tout un tas d’activités physiques, qui ne sont pas forcément des sports. Je grimpe dans les arbres, je joue dans la rue, etc. Et cela dure pendant tout mon cursus élémentaire. Lorsque j’arrive au collège, je n’irais pas jusqu’à dire que j’ai des soucis de poids, mais on peut dire que j’aime bien la cantine. Ma mère m’incite donc à m’inscrire au sport. Je fais d’abord de la danse. Je n’aime pas du tout cela et je suis nulle. Ça ne dure donc pas bien longtemps. Honnêtement, si vous me voyez danser, vous comprendrez vite que ce n’est pas mon domaine.
Mon collège est dans une autre ville que celle dont je suis originaire. Là-bas, j’y retrouve mon cousin. Il est en troisième lorsque je suis en sixième.
MA RENCONTRE AVEC LE BASKET
Mon cousin, c’est Olivier Dalmeida (photographe particulièrement reconnu dans le monde du basket). Olivier, c’est un peu la star du collège. Tout le monde le suit partout. De plus, il fait du basket. C’est également la raison pour laquelle je le suivais partout. Avec ses potes, il joue sur un playground vraiment proche de chez moi et j’adore aller le voir jouer, je m’y rends tout le temps. Il y a Paccelis et Kris Morlende qui sont aussi de chez moi. Ce sont des joueurs qui auront de grosses carrières par la suite. J’essaie de gratter afin de pouvoir jouer, mais au départ, ils ne me laissent jamais jouer.
Petit à petit, je commence vraiment à vouloir faire du basket sérieusement. À vrai dire, mon cousin est mon modèle. Il met des crosses à tout va, à tout le monde. Je le trouve vraiment fort et j’aime trop ce qu’il fait. C’est grâce à lui que le basket me donne tout de suite envie. Le jour où j’ai un ballon entre les mains, je suis directement piqué. Je suis avancée pour mon âge et je grandis assez vite. Je peux alors jouer avec mon cousin lorsque nous ne sommes que deux avant que tous les autres gars n’arrivent.
Dès l’instant où je suis inscrite dans un club, je me sens dans mon élément. Bien que je sois une nouvelle arrivante, je m’en sors plus que bien. Par conséquent, on me fait jouer avec les garçons. Je commence ensuite à avoir des discussions autour du basket avec des gens de mon âge. Je me suis réellement mise à regarder du basket à la télévision. À l’époque, ce sont les top 10 et les tout premiers résumés des matches. C’est comme ça que j’intègre la culture basket.
Une fois que cela arrive, je deviens une mordue de ce sport. Le seul sport qui me passionne et me donne envie. On peut dire que le basket est mon seul sport. C’est seulement plus tard que je me prends de passion pour d’autres disciplines, mais la balle orange est réellement la seule dans laquelle j’évolue.
MA DIFFÉRENCE
Il faut savoir que j’habite à Laigneville, à côté de Nogent-Sur-Oise. Une ville desservie par le RER. Nous ne sommes pas des Parisiens, mais nous ne sommes pas non plus très éloignés. C’est typiquement ce qu’on appelle une ville dortoir. C’est-à-dire que tu travailles et passes toute ta journée à Paris, mais tu habites là bas car tu peux t’y offrir un meilleur cadre..
Mes parents ont vraiment cette volonté que l’on puisse grandir dans une maison. Avoir un coin calme, loin de toutes perturbations. Je suis née dans le Val-De-Marne, mais nous avons très vite déménagé en Picardie.
À notre arrivée, je me retrouve dans une école où je suis la seule noire. C’est un fait anecdotique, qui a quand même son importance, car en réalité, je suis réellement différente, différente de tous les autres enfants. Je ne dirais pas que je n’ai pas d’amis, mais je ne suis pas réellement acceptée dans mon école. Je ne m’y sens pas à ma place. Et il faut visualiser le contexte, nous sommes au début des années 90.
Je suis déjà un peu grande par rapport à mes camarades. Je suis solide. Née en juillet, lorsque je veux fêter mon anniversaire, il n’y a jamais personne. C’est pour cela que je suis vraiment bien chez moi. J’ai la chance d’avoir une famille comme la mienne, car en dehors, je ne me sens pas très acceptée. Je suis un peu trop garçon manqué pour coller aux codes et aux diktats imposés aux jeunes filles de mon âge. Il n’y a pas de robes ou de jupes dans mon histoire.
Je ne traîne qu’avec mon cousin, qui me tolère, étant donné notre différence d’âge. Et lorsque j’entre dans le monde du basket, c’est autre chose. Tout ce que je suis, ma différence, devient ma force.Tout le monde souhaite jouer dans mon équipe. Il est d’ailleurs important pour moi de dire que je tombe dans un club le Nogent Basket Ball Club, avec des personnes extrêmement bienveillantes et très gentilles.
Je suis rapidement acceptée dans le basket et au-delà de ça, je suis poussée au vu de mes capacités. Lorsque j’arrive, à peine 10 jours s’écoulent et les éducateurs m’encensent. Ils racontent à mon père que je suis forte, que je suis une bonne joueuse et que j’ai peut-être les capacités pour intégrer un sport étude.
Mes parents travaillent à Paris, tous les deux, et ne peuvent pas toujours m’amener à l’entraînement. Étant la seule joueuse de mon équipe à ne pas habiter dans la ville où elle joue, les coachs et les parents des autres filles viennent souvent me chercher.
Autour de moi, tout change. Un an et demi après mes débuts, j’intègre le Pôle Espoir. C’est une chance, après une saison seulement passée dans mon club.
J’ai de la famille qui habite à Creil, c’est-à-dire très proche de nous à l’époque. Des cousins de sang qui forment une fratrie de 5 personnes, comme nous. Quatre filles et le petit dernier, un garçon, comme chez moi. Les trois filles les plus âgées sont des athlètes. Elles ont principalement fait du 100m et du 400m. Bien au-delà du championnat de France, elles ont fait des championnats d’Europe, du Monde et même les JO. Elles appartiennent à une génération au-dessus de la mienne. Si bien qu’elles m’ont gardé de temps en temps.
Même si mes parents ne connaissent pas le monde du sport, ils ont vu comment mes cousines ont évolué dans cet univers. Ils souhaitent le meilleur pour leur fille et souhaitent donc que j’évolue au mieux dans ma discipline. Ils ne sont pas du tout réfractaires. Ils n’ont pas non plus peur, car il existe des modèles dans notre propre famille.
Lorsque je commence le basket, il est vrai que je ne connais rien de ce monde. Aucune joueuse, aucune équipe puisqu’il n’y en a pas à côté de chez moi. Mais lorsque je rejoins mon premier club, on regarde les matchs de l’équipe de France. Des matches de garçons, mais aussi de filles et je me suis vite identifiée à une joueuse de l’équipe de France (Audrey Sauret). J’ai, selon moi, des caractéristiques similaires aux siennes. À partir de là, je n’ai qu’un seul objectif : parvenir un jour à jouer avec elle et même la surpasser.
J’adore son jeu, car elle drive souvent, moi aussi. Je vais dans la raquette, je distribue. Elle est numéro 9 comme moi. Je désire réellement lui ressembler dans le jeu.
À ce moment-là, j’ai douze, treize ans. Il s’avère que quatre ans plus tard, je jouerais avec elle. C’est complètement dingue. Aujourd’hui, c’est l’une de mes amies. L’histoire est folle, mais c’est mon parcours… Enfin, le commencement.
LE PÔLE
Mes débuts au Pôle sont très difficiles. Nettement plus dure que ce que j’ai imaginé. C’est la première fois que je quitte mes parents. Je ne suis qu’à deux heures de chez moi, mais cela me paraît tellement loin, à l’autre bout du monde.
En revanche, le fait de partir toute la semaine pour jouer au basket me rend heureuse. Même si je ne pense pas du tout que quitter la maison sera si compliqué au départ.
Finalement, je m’adapte assez rapidement. Et la deuxième année est un pur kiff. Avec le recul, le contexte n’est pas si compliqué à vivre pour moi, il m’a simplement fallu un petit temps d’adaptation.
Je suis avec mon équipe, je joue au basket tous les jours. Je réussis à faire deux années au Pôle et je suis ensuite repéré par Valenciennes. Nous faisons tous les tournois inter-zone de l’époque et je tape dans l’œil de la directrice du centre de formation de Valenciennes. C’est le club d’Audrey. Rejoindre cette équipe apparaît donc pour moi comme un objectif absolu.
MON PASSAGE EN PRO
Au départ, mes parents ne veulent pas me laisser partir à Valenciennes si je n’obtiens pas mon brevet. Nous sommes en 1998. Ils m’annoncent que nous irons au Sénégal si j’obtiens mon diplôme. Tout se passe pour le mieux. Je parviens à le décrocher et nous partons en terre promise.
C’est à ce moment que la directrice de Valenciennes entre en contact avec mon père afin de le convaincre de me laisser rejoindre le club, mais il souhaite que j’aille au bout de ma dernière année au Pôle.
Lorsque mon père m’informe de son refus, alors que je me trouve au Sénégal, je suis anéantie. C’est la première fois pour moi au bled, mais je ne peux pas en profiter, tellement je suis triste. Seule ma grand-mère à qui je porte mes doléances me réconforte. Elle attend que mon père nous rejoigne au Sénégal et lui ordonne de me laisser faire ce dont j’avais envie.
À notre retour en France, fin août, mon père appelle alors Valenciennes pour que je rejoigne l’équipe. Le problème, c’est que ce n’est plus possible pour les joueuses mutées. Mais Martine Vergaehe, me veut tellement au sein du club qu’elle fait des pieds et des mains pour trouver une solution. Comme il n’y a ni place en jeunes, ni place pour les mutés, j’intègre le groupe professionnel à mes 15 ans.
Il s’agit de l’année de la réforme des centres de formation où une équipe professionnelle est désormais dans l’obligation d’avoir des jeunes de moins de 21 ans. Ce qui n’était pas le cas avant. Valenciennes a impérativement besoin d’une jeune, j’arrive donc au meilleur moment. Mais je ne le sais pas à l’origine. C’est comme si l’équipe professionnelle ne m’avait pas du tout choisi. On peut presque dire que c’est un coup de bol. J’arrive au milieu de toutes ses joueuses incroyables.
Tout au long de mon passage dans ce club, l’équipe reste invaincue à domicile toutes compétitions confondues. De l’Euroligue au championnat de France. On parle de plusieurs finales d’Euroligue en cinq ans. Comme si l’équipe de France était concentrée en un ou deux club.
Lorsque je commence, c’est évidemment très difficile. Je me retrouve au milieu de joueuses très fortes et très exigeantes. Cependant, elles sont tout de même patientes avec moi. Elles m’aident et voient quelque chose en moi. Mais tout est à faire.
Ces cinq ans de formation à Valenciennes sont nécessaires pour pouvoir voler de mes propres ailes. Je fais exactement ce que l’on me dit, sans même réfléchir. Pendant presque trois ans, les joueuses n’entendent pas le son de ma voix, car je n’ose même pas parler.
MA PREMIÈRE BLESSURE
Je suis blessée durant trois mois lors de ma première année pro, parce que je suis trop en deçà physiquement.
La première blessure est toujours compliquée à gérer. Surtout pour moi qui a bien conscience que ce que l’on m’a donné est une chance. Je me rappelle de toujours avoir l’impression que l’on pouvait me le reprendre à tout moment.
À cette époque, Valenciennes est le club le plus professionnel de France. Je suis donc extrêmement bien pris en charge. Cette épreuve est tout de même compliquée à surmonter. D’autant plus que j’ai une blessure improbable chez une basketteuse : la pubalgie. Cette blessure ne touche que très rarement les joueuses. On est contraint de rester dans le flou, car il n’y a pas vraiment de time periode. Tu ne sais pas quand tu reviendras. Le processus n’est pas clair ou bien établi comme pour une blessure traumatique.
Parfois, je reprends, puis je m’arrête de nouveau. Je ne le vis pas bien et je suis loin de tout le monde. Je ne veux pas en parler à mes parents, car j’ai peur qu’il me dise de rentrer à la maison. Et lorsque chez les pros, on me demande si ça va, je réponds oui à chaque fois.
En revanche, cette blessure me sers énormément pour la suite de ma carrière, car j’apprends à connaître mon corps. Savoir comment le gérer du mieux possible.
Je ne suis pas une joueuse qui a beaucoup été blessée. Au terme de ma carrière à 37 ans, je m’en tire sans blessure majeure. Je n’ai jamais été écartée des terrains plus de deux mois en 21 ans.
Cette saison à Nice où je joue désormais me fait donc m’interroger. Pourquoi suis-je restée aussi longtemps à Valenciennes sans temps de jeu ?
PASSER UN CAP
En étant dans le meilleur club de France, je me fixe rapidement l’objectif d’y jouer. En effet, je suis professionnel à 15 ans, car j’ai le contrat, mais dans les faits, je ne mets jamais un pied sur le terrain. Je passe presque une année entière à ne pas jouer. Ni en pro ni en espoir, en raison du souci de licence et de mutation. Je m’entraîne certainement avec l’une des meilleures équipes d’Europe, mais je n’ai pas de compétition. Je m’accroche à l’objectif de parvenir à m’imposer dans ce club incroyable. Cet objectif me tient en haleine. Tous les ans, j’espère gagner des minutes et m’aguerrir davantage.
Au final, au terme de ces cinq années, je termine avec très peu de minutes. Il faut donc que j’aille chercher du temps de jeu ailleurs. Je ne souhaite pas partir, tellement je suis loyale. Ça a été le cas tout au long de ma carrière, dans tous les clubs par lesquels je suis passé. Si le coach ne me conseille pas de partir pour avoir du temps de jeu, je ne prends jamais mon envol. Je suis tellement reconnaissante de ce que Valenciennes m’a donné. “Si tu souhaites rester, je te garde. Mais il est temps pour toi de jouer maintenant” tel est son speech en fin de saison. C’est d’ailleurs un coach que je retrouve plus tard dans ma carrière. Mon statut ayant changé, je suis devenue un des éléments majeurs de son équipe.
Lorsque je pars de Valenciennes, c’est un vrai pari, car je n’ai pas de statistiques. Le club qui me recrute, mise sur moi sans nécessairement savoir ce que cela donnera. Mais j’ai un super coach qui me fait confiance dès mon arrivée. Cette saison à Nice où je joue désormais me fait donc m’interroger. Pourquoi suis-je restée aussi longtemps à Valenciennes sans temps de jeu ?
Mon expérience à Valenciennes est ce qu’elle est, j’en suis très fière, car je vis de superbes années. Mais je passe tout de même cinq ans sans jouer. C’est-à-dire qu’à la même période, pendant les 5 ans où je suis avec les pros, les filles de mon âge évoluent à l’INSEP. Lorsque je rejoins Nice, elles sortent aussi de l’INSEP et signent pro quelque part. Je vis à peu près la même expérience qu’elles, avec l’aspect équipe nationale en moins.
L’ÉQUIPE DE FRANCE
C’est à Arras que je connais ma première sélection en équipe de France. J’ai du mal à y croire. Ce n’est ni dans un coin de ma tête, ni un objectif que je me fixe. Je ne m’y autorise même pas. Ça me paraît trop lointain. Je suis dans mon truc et je suis bien. Nous vivons une épopée arrageoise qui marque aussi ma carrière, mais je ne me mets pas en tête de rivaliser avec les taulières de l’équipe de France. Défendre mon bout de gras en championnat, aucun problème. Mais représenter la France à leur place ou à leurs côtés ne me paraît pas être fait pour moi.
En l’occurrence, l’histoire me donne presque raison. Je fais ma première sélection en Équipe de France quand Pierre Vincent me convoque. Je suis à la fois surprise, contente, stressée et très timide. Je ne m’y sens pas légitime. La sélection est toujours difficile pour moi, peu importe les saisons que je fais en club. Je ne sais pas trop comment l’expliquer.
La première fois que j’entends l’hymne national en Équipe de France, j’en pleure tellement je suis émue. C’est incroyable, et en même temps, j’ai toujours ce sentiment d’illégitimité. Je pense que c’est pour moi un plafond de verre pendant très longtemps. Et puis j’appartiens à une génération entre-deux. Au-dessus de moi, c’est très fort. C’est-à-dire les 83, les Dumerc and co. Ensuite la génération en dessous, 89,90, elle aussi est très forte.
Dans ma génération, il y a 3, 4 joueuses vraiment pas mal qui ont eu leur parcours en équipe nationale et c’est tout. Il n’y en a pas beaucoup plus. On peut piocher quelques filles par génération, tel que Sandrine Gruda ou Endy Miyem avec les 87, mais voilà… Pour moi, ça ne passe pas. Dans mon jeu et dans mes attributs, je suis davantage une joueuse de club. Ce qui peut faire le bonheur de beaucoup de clubs d’ailleurs. Mais je n’ai pas non plus une qualité qui se démarque. J’ai la capacité de driver, de shooter, de défendre, mais je n’excelle dans aucun de ces domaines. C’est très bien pour une équipe, mais pour la sélection, il manque quelque chose.
Pourtant, j’ai 16 sélections à mon actif, ce n’est pas rien et j’en suis fière. Mais une fois de plus, je ne m’y suis jamais sentie légitime. La réalité est que je me suis davantage fait “couper” que sélectionner. J’ai plusieurs entretiens avec des coachs qui n’ont pas grand-chose à me reprocher, mais il manque toujours un truc et j’en ai fait mon deuil. À l’instant T, c’est différent.
J’ai l’anecdote d’une sélection où je ne suis pas dans la liste. Je ne comprends pas. Je suis hyper triste. Je me remets en question sur les points à améliorer ou les choses que je n’ai pas faites. Je fais partie de ses joueuses qui demandent toujours des explications à leur sélectionneur afin de comprendre le pourquoi du comment.
Et l’équipe de France, c’est aussi comme cela. Tu es réunie après le lunch. Il y a toute l’équipe. Le sélectionneur annonce les 12 filles qui partent jouer la compétition. Il énonce les différents noms des filles sélectionnées devant tout le monde. Lorsqu’il n’y a pas ton nom, tu te dis : “Peut-être que je ne l’ai pas entendu”. Tu n’es pas sûre.
Ensuite, il explique que le départ se fera le lendemain et que sa porte reste ouverte pour les joueuses non sélectionnées voulant des explications.
De mon côté, je reste hagarde et les autres filles viennent me réconforter. Tu penses avoir mal entendu puis tu réalises que tu n’es réellement pas dans la liste. Il y a des fois où tu as conscience que tu n’es pas à la hauteur et d’autres où tu souhaites comprendre, car tu penses avoir fait tout ce qu’il faut. J’ai, par exemple, eu un coach au moins autant ému que moi, après l’annonce de sa liste pour les Jeux..
Mon bilan en Équipe de France reste positif et je suis consciente que beaucoup de joueuses auraient souhaité être à ma place. Je suis fière d’avoir pu vivre tout ça. Cependant aujourd’hui, quand les gens disent que je suis une internationale, je me demande parfois si c’est vrai.
UNE PÉRIODE ÉPROUVANTE
Je termine ma carrière à Villeneuve d’Ascq après neuf saisons passées au club. Et pour ne rien cacher, j’ai encore énormément de chance à mon arrivée.
La saison précédant mon transfert à Villeneuve, je fais le choix de passer le basket au second plan. Je viens de me marier, j’ai fini mon master et je me tourne vers des projets plus familiaux. Le club d’Arras, où je passe cinq ans, est d’accord avec l’idée que d’ici un ou deux ans, je puisse tomber enceinte.
Mes plans changent finalement. Ils changent tout d’abord parce que je me sépare. J’ai ensuite la proposition de Villeneuve et j’y vais. À mon arrivée, je suis une joueuse un peu brisée mentalement. Ce que je vis personnellement est dur. Je suis en plein doute. Je me rends compte qu’avec le master que je viens d’obtenir, je n’aime pas tellement ce que je fais et je me vois déjà retourner à l’école dans un cursus qui me correspond davantage. Je veux aussi rejouer au basket avec beaucoup plus d’ambition. J’ai de nouveau faim, de basket de victoires.
Ce qui me marque le plus à Villeneuve, c’est que tout le monde m’accueille très bien et se montre très patient par rapport à la situation que je traverse. C’est très vite devenu une famille. Ça parait fou, car même si cela reste du sport avec ce côté associatif et familial, c’est également un business à notre niveau. À ce moment-là, je ne fais peut-être pas perdre les matchs, mais il est clair que je ne les fais pas gagner.
Ils sont pourtant très patients, prêts à m’aider. Ils me tendent la main. Je peux donc renverser la situation qui est au départ très compliquée pour bien terminer la saison, le club ne me faisant jamais ressentir la pression.
VILLENEUVE D’ASCQ
À mes débuts à Villeneuve, je suis une des plus jeunes filles du groupe. Il y a beaucoup de filles qui ont énormément d’expérience. Mon parcours est cependant tellement atypique que j’ai moi aussi emmagasiné pas mal d’expérience malgré le fait que je sois parmi les plus jeunes.
À la base, je ne suis pas une joueuse très vocale, j’aime bien être dans mon coin et suivre les leaders. Je fais mon taff, ma mission.
Il y a un coach qui me challenge énormément en me demandant très vite de prendre plus de responsabilités en arrivant au club. Je ne me sens pas prête. D’ailleurs, la première fois que l’on me propose le job de capitaine, je le refuse, car je pense que ça ne me correspond pas.
Par la suite, lorsque cette question du capitanat revient. J’ai cette fois le sentiment qu’il est normal que je le sois. Par rapport à mon histoire dans le club, ce que l’on a vécu et ce que je veux pour l’équipe.
Les premières années, je me fais violence. Le coach me pousse à en faire un peu plus, mais ce n’est vraiment pas naturel pour moi.
Puis, il y a ce déclic. À un moment, j’ai réussi à embrasser ce statut. Cela se ressent dans mon jeu et dans mes performances, car j’ose beaucoup plus.
J’ai de la confiance et ce besoin d’être une leader. Du moins, j’ai l’obligation d’avoir cette exemplarité sur le terrain. J’ai compris qu’en match, je devais toujours faire preuve de résilience et d’abnégation. Être une guerrière pour faire en sorte que le groupe suive.
L’ARRÊT DE MA CARRIÈRE
La fin de carrière n’est vraiment pas une décision facile. Je passe beaucoup de nuits blanches à essayer de comprendre et faire le bon choix. On ne sait jamais réellement si on prend la bonne décision. Peut-être que lorsque tu sais que c’est le bon moment d’arrêter c’est que tu arrêtes déjà trop tard ?
J’ai très peur de ça. Faire la saison de trop, c’est ma crainte. J’ai peur d’être sur le terrain et d’être mauvaise. Ne plus être légitime et ne pas le voir, de ne pas pouvoir l’assumer.
Je ne dis pas que j’ai envie d’arrêter au meilleur moment, mais en tout cas, je ne veux pas aller trop loin.
Je commence ma dernière saison blessée avec un problème au tendon d’Achille, alors que rappelez-vous, j’ai été très peu blessée au cours de ma carrière. Il faut cependant savoir que passé 30 ans, lorsque l’on se blesse, “on est vieille”. On vous fait comprendre que vous jouez depuis un certain temps. On commence à vous mettre dans la tête l’idée que vous êtes vieille et c’est un peu un combat contre tout le monde. On se dit : “Je vais montrer que je ne suis pas vieille”, et on a finalement encore plus à prouver que lorsqu’on était jeune. On veut montrer que l’on doit être là et que l’on a le droit d’y être.
Il y a aussi les jeunes talents qui arrivent et qui poussent. Les futures générations sont très fortes et elles te challengent. Mais heureusement, je le prends dans le bon sens. Cela m’a toujours motivé et donné envie d’en faire plus.C’est finalement la jeune génération qui me permet de tenir le rythme jusqu’à la fin.
Au moment où cette décision est à prendre, j’ai cette blessure. Je ne sais pas trop comment je me sens. Je me demande si je vais pouvoir effectuer la saison. Je vais jusqu’en Espagne pour me soigner.
En réalité, je suis incapable de prendre la décision. Je n’y arrive pas. J’en parle à mes parents, ma famille et mes proches. Il y a ce petit noyau de personnes qui m’aide à me décider. Je prends finalement la décision d’arrêter. Je me rappelle avoir l’impression qu’un sparadrap m’était arraché. J’ai la sensation de sauter dans le vide.
L’APRÈS CARRIÈRE
J’arrête sur une fin de saison où l’on perd les playoff. Il y a la déception de perdre, car nous sommes ambitieux. Je suis dans un club avec des objectifs élevés, et lorsque tout ça s’arrête, je réalise instantanément que ça ne va jamais reprendre.
Il n’y aura pas de : “prépare-toi cet été, la saison prochaine repartira de plus belle”. C’est réellement terminé. Ce point est vraiment difficile. Mais je me mets tout de suite dans la posture où je dois enchaîner sur autre chose. D’abord, les vacances puis réaliser d’autres projets.
La difficulté arrive plutôt au mois d’août, quand tout le monde repart dans son club. Les équipes sont annoncées et tu ne fais plus partie de rien. C’est vraiment bizarre.
J’enchaîne tout de suite avec autre chose. C’est ma rentrée professionnelle. Là, c’est encore plus bizarre. J’essaie de faire face, comme si ce n’était rien du tout. Mais en réalité, mentalement et psychologiquement, c’est extrêmement difficile.
Je change d’environnement et de localisation. À Villeneuve, je suis près de ma famille, de mes proches et dans un club avec lequel j’ai finalement grandi. La plus belle partie de ma vie d’athlète se fait là-bas.
Je me suis donc mise au boulot sans forcément sortir la tête de l’eau. Tu travailles, puis le basket te manque. Physiquement, mentalement et dans tes sens, il y a ce manque. Et le fait d’aller regarder des matchs et d’être dans des salles tous les jours ne comble pas ce vide-là.
Lorsque tu arrêtes ta carrière sportive, il y a une partie de toi qui n’est plus là. C’est même la plus grosse partie de toi, ton essence. J’ai dit toute ma vie que j’étais basketteuse. Et je ne le suis plus maintenant. Dans mon titre et la personne que je suis, ça n’existe plus.
J’ai tout de suite une activité, c’est ce qui m’empêche de réfléchir trop longtemps. Je pense que j’étais une athlète solide mentalement qui tombe et se relève. Mais dans ma nouvelle vie, tout me parait compliqué. Au début, je suis très à fleur de peau et même un peu fragile. À l’inverse de ce que j’étais en tant qu’athlète, finalement. La moindre chose peut me faire pleurer.
J’ai du mal à définir les raisons de ce qui me rend aussi fragile, puisque j’ai envie d’assumer mon nouveau rôle. Mes proches et ceux qui m’entourent, eux, voient le changement. Je suis une nouvelle personne. “Jo l’athlète” est-elle morte ? J’ai aussi la chance aujourd’hui d’être entouré de personnes qui ont aussi arrêté leur carrière dans ma nouvelle activité. Ils sont passés par l’étape par laquelle je suis passé et m’ont donné un peu les clés. Ça m’a permis de dédramatiser les choses.
Même dans ton nouveau rôle et ton discours les choses sont complexes. Lorsque j’ai à parler à mes jeunes, il y a toujours un peu de “moi, je”. Je ne suis pas comme ça dans la vie, mais lorsqu’il s’agit de basket, je vais inconsciemment faire référence à ma propre expérience et revenir à moi.
Pourtant, tu as conscience de ce que ce genre de discours a pu te faire en tant que joueuse. Il y a des discours de joueuses expérimentées dans ta carrière qui ont pu t’aider et t’influencer, mais il y a aussi pas mal de discours d’athlètes que tu as du mal à intégrer pour ces raisons. Je ne veux pas être l’ancienne athlète agaçante qui rapporte tout à elle.
Même lorsque tu regardes un match, il y aura toujours cet œil de joueuse en te mettant à la place de celle sur le terrain. On reste toujours un peu athlète et je pense que c’est une fatalité, car finalement, je serai une basketteuse toute ma vie et c’est contre cela que je ne dois pas lutter.
Peut-être qu’aujourd’hui, affirmer : “je suis une basketteuse” ce n’est finalement pas mentir. Basketteuse un jour, basketteuse toujours.
MON NOUVEAU RÔLE
Tony Parker me contacte l’an passé pour endosser ce nouveau rôle. Évidemment, je ne m’y attends pas. Il me fait une proposition plus qu’intéressante donc je suis tout d’abord très touchée, et je suis très reconnaissante d’avoir reçu cette proposition. Je suis aussi très séduite par le projet. C’est une position, des missions et une vraie commande.
Dans un premier temps, j’entends, j’écoute, mais je ne sais pas ce que ça représente réellement. Je suis contacté par Tony Parker, mais je ne connais pas grand-chose du club que je vais rejoindre.
J’arrive donc en tant que directrice du centre de formation de l’ASVEL féminin. C’est le premier intitulé de la mission de mon poste. La première mission que j’ai. Cela implique évidemment les équipes fanions du secteur amateur : Espoir, U20 et U18. Mais elle sous-entend aussi le secteur amateur dans son ensemble, c’est-à-dire, toute la déclinaison des catégories de U7 à U15. Je suis également en partie chargée du développement de la Tony Parker Adequat Academy.
Lorsque que l’on est athlète de haut niveau et que l’on fait partie de l’équipe vitrine d’un club, tout est mis en œuvre pour que l’on performe. De nombreuses personnes gravitent autour de l’équipe première et font en sorte que tu n’aies à te soucier de rien. Peu importe la joueuse que tu représentes, tu ne sais pas réellement qui fait quoi et comment. Les missions effectuées, les horaires, la façon dont il est recruté et le stress avec lequel il vit. Tu vois tous ces gens qui gagnent aussi lorsque l’équipe gagne. Tu le sais et tu le veux pour ton club. Mais tu ne comprends pas à quel point cela peut les impacter.
En revanche, lorsque tu passes de l’autre côté, tu comprends tout le travail qui doit être fourni pour que ton équipe puisse performer. Tu réalises vraiment que la victoire des joueuses sur le terrain est en fait, la victoire de tout un staff. Tout ce que l’athlète peut vivre, même si tu ne joues plus, tu le vis quand même, mais différemment.
Au début, je ne connais pas tous les rouages du fonctionnement d’un club amateur. J’ai d’abord une grosse période de remise à niveau en étant parachutée à un poste de direction. Même si j’étais basketteuse, je ne connaissais pas forcément le fonctionnement du club. Les débuts sont un peu chaotiques, mais encore une fois, j’ai la chance d’être très bien entourée dans mes nouvelles fonctions.
Tout le monde a pris le temps avec moi et a fait preuve de bienveillance. Personne ne s’attendait à ce que je fasse tout parfaitement en arrivant et c’est normal. Là-dessus, je suis aussi très reconnaissante. On m’a laissé le temps d’arriver et de faire mes preuves.
Dans mon rôle, l’aspect transmission est aussi une grosse partie qui m’accroche. Je suis face à des jeunes filles qui ont envie d’être ce que j’ai été dans ma vie. Je dois parler à ces filles, je dois leur transmettre et être vigilante pour elles. Je dois les accompagner du mieux possible.
Je me suis attachée à chacune de mes 22 joueuses, elles me donnent le sourire et on passe de bons moments ensemble. Ça n’a pas de prix.
Je suis très contente de la carrière que j’ai eu en tant qu’athlète et des choix que j’ai pu faire. Tous ces choix m’ont conduit à être là où je suis aujourd’hui. Vivre de ma passion pendant plus de 20 ans et faire de ma passion ma vie. En parallèle, j’ai toujours réussi à avoir d’autres centres d’intérêts et concilier plusieurs casquettes en même temps.
Dans ma tête, je suis toujours une athlète, car finalement, je mène toujours une vie d’athlète. J’ai constamment plein de projets, beaucoup d’ambitions.
Aujourd’hui, lorsque j’ai les jeunes en face de moi et que l’on met en avant le double projet à la TPAA, j’incarne aussi ce projet. J’incarne le fait que cela est possible. Je dirais à la nouvelle génération qu’il faut avoir des rêves et ne pas se limiter. Selon moi, le plafond de verre serait de dire à une joueuse : “tu ne peux être qu’une basketteuse” alors que ce n’est pas vrai. Elle peut être bien plus que ça. Tu peux faire tellement de choses.
Aujourd’hui, je mène cette vie. Je suis aussi élue en tant qu’adjointe au sport à la ville de Lille. J’ai été basketteuse professionnelle et je suis directrice du centre de formation du grand Tony Parker.
Il est vrai que j’ai été au bon endroit au bon moment, mais j’ai aussi su saisir les opportunités et provoquer ma chance.