Seehia Ridard «Je veux faire quelque chose de grand depuis le départ.»

Les basketteurs restent beaucoup entre basketteurs, mais moi, pas trop.

Je m’appelle Seehia Ridard, née le 9 août 2002 à Saint-Denis, sur l’île de la Réunion. Mais je ne suis pas d’origine réunionnaise, ma mère est bretonne. Mon père, lui, est Camerounais. On se retrouve à la Réunion, j’y suis née, j’ai même une tante qui y vit. Puis on quitte l’île à mes trois mois. Je n’ai pas vraiment vécu là-bas.

MON ENFANCE

Après notre départ de la Réunion, on déménage en Bretagne, du côté de Vitré. J’y grandis avec ma mère et ma grand-mère, car mon père est peu présent. Ma mère travaille énormément. Je passe donc beaucoup de temps chez ma grand-mère, qui a une ferme. Je suis entourée d’animaux : des poules, un âne, un cochon, et des chèvres. On a même une poule aveugle qui me suit partout. Je suis vraiment une petite fermière.

La relation que j’ai avec ma mère est très fusionnelle car elle m’a eue jeune, à 21 ans, nous sommes très proches. En revanche, avec mon père, les choses ne sont pas aussi simples. Je le vois un week-end sur deux et pendant une partie des vacances, c’est davantage quand il peut, ou quand il veut. Certaines fois, il ne vient même pas. Cette situation dure jusqu’à mes 12 ans, après, il s’efface progressivement de ma vie. Je le vois de moins en moins et ça crée une distance entre nous. C’est à 12 ans, que je cesse finalement de le voir.

Lorsque ma mère change de travail, après l’obtention d’un concours, on déménage à Bourg-en-Bresse. S’ensuit la naissance de mon petit frère. Au début, je suis contrariée par son arrivée, car je ne serai plus la seule fille à ma maman. Mais dès que le ventre de ma mère commence à pousser et que j’interagis avec lui, je tombe amoureuse. Mon frère naît prématurément et subit des complications. Il rentre en couveuse. Je crois que c’est le pire moment de ma vie. J’ai l’impression d’être dans un film. Étant trop petite, je ne peux pas le voir. Je m’effondre par terre, c’est vraiment une scène dramatique. 

Par la suite, on retourne en Bretagne, mais ma mère ne s’y retrouve plus donc on revient à Bourg-en-Bresse. Elle me laisse le choix entre rester chez ma grand-mère pour finir l’année scolaire afin d’éviter de devoir me réintégrer dans une nouvelle école en cours d’année. Mais surtout parce que je me sens bien chez ma mamie. Je choisis donc de rester en Bretagne car j’ai déjà beaucoup bougé et j’aime mon club de handball. C’est le club de mes débuts.

LA PEUR D’ÊTRE NULLE

À l’école, je suis une bonne élève. Je veux être un modèle, vis à vis de mon père mais aussi parce que je vois l’école comme une compétition. J’ai cette volonté de réussir parce que je suis l’aînée et que j’ai ce besoin de montrer l’exemple. Et puis je n’aime pas être nulle. 

A certains moments, je ne suis pas dans mes meilleurs mood, car même si maman comble le manque d’un papa. Lorsqu’il y a des événements importants, comme les premières fois, les matchs ou les anniversaires, on y pense parfois.

LE BASKET PAR DÉFAUT

Mon aventure sportive commence d’abord par le handball. Mais après mon année de CM1, lorsque je rejoins ma mère à Bourg-en-Bresse et m’inscrit dans un nouveau club, il n’y a pas de section féminine, alors je joue avec les garçons. Même-si les garçons ne me mettent jamais à l’écart. Et surtout parce que je suis forte. Oui, physiquement, j’ai toujours été au dessus. C’est tout de même, une période moins fun car à cet âge-là, on aime être avec des filles, surtout quand on commence à se découvrir en tant que fille. Les garçons ont leurs délires. Je suis un peu dedans, car un peu garçon manqué, mais parfois, tu as vraiment envie d’être avec les filles.

À Bourg-en-Bresse, le handball est moins développé que le basket, c’est pour cette raison que je me tourne vers ce sport par la suite, même si au départ je ne veux pas en faire parce que mon père en faisait. Je ne subis pas de pression de ma famille pour faire ce sport et on ne me pousse pas à en faire même si je suis plus grande que tout le monde. Finalement, le basket m’offre une opportunité que je ne peux pas refuser.

Je commence le basket en sixième, il y a deux équipes. Une en région, une en départementale et très vite, je suis sélectionnée en équipe une. Sans mentir, je ne passe pas plus de deux semaines en équipe deux. Mais c’est surtout parce que je suis athlétique. Mes qualités basket se développent par la suite.

Je suis très rapidement prise pour les sélections départementales. Ensuite, je dois changer de collège pour intégrer une section basket afin de me préparer pour le pôle espoir de Lyon.

SE CONSTRUIRE AU SEIN DE DEUX SCHÉMAS DIFFÉRENTS

A mes 12 ans, c’est l’année de naissance de ma petite sœur. C’est aussi l’année où j’arrête définitivement de parler à mon père. Je réalise que notre relation me fait plus de mal que de bien. Un jour, un événement se produit. Je dois aller en sélection et lui dire que je ne pourrai pas venir le voir. Il n’a pas accepté cette décision. Je pense que ça a été le point de rupture.

Cette période est réellement difficile, mais elle me forge. Ma mère est toujours là pour moi, malgré les difficultés. Aujourd’hui encore, mon père me manque parfois. Mais avec du recul, je pense que c’est la meilleure décision pour moi et pour mon épanouissement.

Notre relation était vraiment particulière. Je ne fais pas beaucoup de navette entre mon père et ma mère. Mais lorsque je suis avec lui, à l’époque, je suis vraiment sa princesse, car je suis sa seule fille. Mais à côté de ça, je ne suis pas la même personne en sa présence, car il est extrêmement strict. C’est en partie pour ça que je dois m’adapter et ne pas faire trop de vague, j’ai le sentiment de devoir être “parfaite”, tandis qu’il y a une façon naturelle pour moi de me comporter chez maman.

 

ÊTRE DIFFÉRENTE

Le sport de haut niveau m’a toujours attirée. Je veux faire quelque chose de grand depuis le départ, être quelqu’un. Depuis petite, je veux être sportive professionnelle, peu importe le sport.

Elle me soutient dans mes choix sportifs et me permet de suivre mon propre chemin. Elle me pousse à faire de mon mieux sans mettre trop de pression, ce qui me permet de m’épanouir dans le sport.

À Lyon, au pôle espoir, je dois m’adapter à une nouvelle vie, loin de ma famille. Ce n’est pas difficile, même si j’ai une relation fusionnelle avec ma mère. Mais je sais que c’est nécessaire pour ma progression. Et je suis un peu égoïste pour le coup car je vis vraiment pour moi à ce moment-là.  Le pôle espoir me prépare pour le haut niveau et je sais que c’est le bon moyen pour que je devienne meilleure. 

J’ai toujours été une joueuse très énergique avec beaucoup d’engagement, je pense que ces qualités ont pallié à mon manque d’expérience basket car physiquement, j’ai toujours été au dessus finalement. 

Je fais les tests d’entrée à l’INSEP avec un an d’avance, mais je ne suis pas prise la première année. Ma mère m’aide à relativiser car je fais face à mon premier échec et je pense à tout arrêter. Elle m’en dissuade rapidement, car elle a conscience que je divague sous le coup de l’émotion. A cet instant, lorsque je me jauge par rapport à la génération 2001, je suis très choquée d’être parmi elle, très stressée également. J’ai la boule au ventre avant chaque match. J’ai l’impression de ne pas être à ma place. J’ai souvent ce sentiment d’imposture où je me demande ce que je fais là. Je suis la seule 2002 et je ne me sens pas à ma place, mais en même temps sur le terrain je n’ai pas non plus l’impression d’être à la ramasse. 

En revanche, avec ma génération 2002, c’est différent. Je ne peux pas me louper. C’est ce que je me dis. Ça passe malgré le stress. Mais l’échec n’est pas dans les options. J’intègre l’INSEP.

Ma première année est très nuancée. Cette fois-ci, c’est plus dur de quitter mon frère, ma sœur et ma mère. Tu arrives à Paris. Ce n’est pas le pôle. J’ai aussi du mal avec les attentes du coach, qui veut me voir dans un rôle de leader que je ne suis pas prête à assumer de la manière dont il le souhaite. 

Être leader, n’est pas un problème pour moi. C’est la façon dont il veut que je le sois. Sa capitaine doit être très dure, très stricte. Mais ce n’est pas moi, je ne veux pas être cette capitaine chiante. Je pense qu’il voit mes capacités, donc il tente de me pousser. Mais ce n’est pas la manière qui convient à ma personne. Un moment, je suis sa leader, un autre, son bouc émissaire. Je pense souvent à partir, mais je tiens bon car il y a aussi énormément de points positifs. Je profite d’infrastructures incroyables, le fait d’être tout le temps avec les filles, ça devient une famille. Et aussi découvrir la vie parisienne, malgré les restrictions pour mineurs.

Il faut savoir qu’à l’issue de la première année certaines joueuses peuvent être coupées. Tu es directement confrontée à la dure réalité du sport. Mais personnellement, j’en ai conscience depuis le début. Dire qu’il y a de la place pour tout le monde, c’est faux. Je n’ai jamais cru en cette phrase: “il y a de la place pour tout le monde”. Je me rappelle du premier jour au pôle, les 2001 et 2002 toutes assises, le coach nous dit les 2001 sont déjà au courant mais je m’adresse à vous les 2002, il y en aura peut-être 3 parmi vous qui deviendront basketteuses, les autres ne feront même plus de basket. Ce jour-là reste ancré dans ma tête. 

Les deux années suivantes se passent beaucoup mieux. Les basketteurs restent beaucoup entre basketteurs, mais moi pas trop. Je reste énormément avec Téo Andant par exemple. Avec du recul, je trouve ça bête de ne rester qu’entre basketteurs alors qu’on a l’opportunité de découvrir plein d’autres personnes, plein d’autres choses.

LA SPIRITUALITÉ

Ce qui est cool, aussi pour moi à l’INSEP, c’est que je me rapproche énormément de Dieu. Je découvre les églises évangélistes. Chacun ses croyances, et je ne me retrouve pas dans l’Eglise Catholique. Une amie à moi qui habite à Choisy, m’amène dans son église et c’est pour moi une révélation. Au final, je me baptise sur ma dernière année à l’INSEP. Beaucoup de basketteuses viennent m’exprimer leur soutien. Téo, aussi, est présent. A Paris, mon esprit s’ouvre beaucoup plus aussi. Avant, mon éveil spirituel, ma relation avec Dieu n’est pas vraiment poussée. J’aimerais que la religion soit mon moteur, mais pour être transparente, pour le moment c’est davantage une béquille, car je m’appuie dessus, mais il y a des moments où je ne me repose pas assez sur le Seigneur, mais plus sur moi-même.  

Je veux qu’on me voit comme une athlète de haut niveau, comme une femme avec un handicap et non comme une handicapée qui fait du sport.

DEVENIR PRO

Je signe ensuite mon premier contrat professionnel à Basket Landes, où je vis des hauts et des bas. Lorsque j’y signe, ce n’est pas le Basket Landes aussi ambitieux qu’aujourd’hui. Au début je le vois comme un bon club pour mon développement, je fais ce choix car je ne me sens pas prête à jouer. Je vois ça comme une continuité dans ma formation. Ça me rassure beaucoup d’avoir une coach femme. Au final, je joue très peu, mais je me sens bien à l’entraînement.

Par contre, je suis souvent stressée. Un jour où toutes intérieures sont blessées, notamment Aby Gaye, on doit affronter Saint-Amand, donc je sais que je vais jouer. Et je craque dans le vestiaire car j’ai peur de mal faire. Une coéquipière rentre dans le vestiaire et me voit pleurer. Je lui dis que je ne suis pas prête à jouer, elle me remotive et je fais un très bon match. C’est après ce match là, que je prends conscience que je suis capable de jouer. Ce qui m’impressionne également lorsque je signe à Basket Landes, c’est que j’ignore l’effectif qu’il y aura. Puis j’apprends que je vais jouer avec Céline Dumerc et Valériane Ayayi, je suis impressionnée. A la base, je ne suis pas vraiment le basket, en dehors du fait de jouer. Mais j’ai quand même, mes références. 

Hors du terrain, je suis assez indépendante. J’ai une coéquipière et voisine en or, qui s’appelle Kendra Chery. On s’entraide beaucoup car nous n’avons toutes les deux pas le permis à ce moment-là. 

Je finis par trouver ma place, puis je suis prêtée à Nantes à Noël, ce qui me permet de trouver du temps de jeu et de la confiance en moi. 

Ma deuxième année à Basket Landes est marquée par des blessures et des moments de doute. Je dois apprendre à gérer la frustration de ne pas jouer autant que je le veux. Une joueuse américaine est recrutée. A partir de là, je ne joue plus et on me fait comprendre que je ne suis pas à la hauteur des attentes du haut niveau, au vu du standing de l’équipe, mais je ne partage pas forcément cet avis. En dehors du basket, c’est ma meilleure année. Il y a Marine Fauthoux, qui est un gros coup de cœur amical. Je n’aime pas être cantonnée à 100% au basket et grâce à Marine et Antoine qui viennent du Sud-Ouest, j’ai ce sentiment de moments de famille. Mais il y a aussi beaucoup de remise en question de ma part, lorsque je me retrouve seule chez moi. Je me demande si j’en suis capable, si je vais prouver que je peux être professionnel. Ce sont pas mal de moments de doutes que tu dois surmonter.

La saison suivante j’intègre le club de Saint-Amand où je vis ma première blessure. J’ai le sentiment de perdre mon temps car faire uniquement de la rééducation, c’est chiant. D’autant plus que ma saison à Saint-Amand doit être l’année pour me relancer en LFB. Mais je n’ai pas la confiance du coach. J’ai le sentiment qu’il ne me porte pas dans son cœur et ma blessure n’a pas vraiment aidé. Elle m’empêche de prendre ma place dans cette équipe. 

CHAMPAGNE BASKET, MA DÉLIVRANCE

Lorsque je rejoins Reims en deuxième division, je peux jouer davantage et retrouver pleinement confiance en moi. Ou plutôt trouver confiance, car je n’ai jamais vraiment eu confiance en moi finalement. Mais je le masque bien.

Cette saison me permet de prouver que je suis capable de jouer au niveau professionnel. C’est une période de renouveau pour moi. À Reims, je trouve une équipe accueillante et un environnement qui me permet de m’épanouir. Je redécouvre le plaisir de jouer, sans la pression excessive que j’ai ressenti auparavant. Ça se ressent dans mon jeu et je peux montrer mes capacités sur le terrain.

LA SANTÉ MENTALE

Depuis cet été, je travaille avec une psychologue qui m’aide à mieux comprendre mes peurs et mes doutes. On parle de tout et de rien, ça m’aide à surmonter mes blocages et améliorer ma confiance en moi. Elle m’oriente sur des pistes. Je me rends compte que j’ai comblé le manque de papa grâce à mes proches, mais cela peut laisser des traces. Je pense qu’il vaut mieux aborder ces sujets pour aller de l’avant. J’ai déjà aussi pensé à voir un coach mental. Mais avant cette étape, je voulais voir un psy, car il y a des choses internes que je souhaite aborder, qui peuvent affecter le sport mais n’appartiennent pas du tout au sport. J’ai donc souhaité bosser d’abord avec un psy, mais il est possible que je travaille avec un coach mental, incessamment sous peu.. 

EN ROUTE VERS MOVISTAR ESTUDIANTES DE MADRID

Après cette expérience à Reims, je sens que je suis prête pour de nouveaux défis. Chaque club, chaque saison m’ont apporté quelque chose de précieux. Lorsque je reçois l’offre de Madrid. Au début, je n’y crois pas. C’est une opportunité que je ne peux pas refuser. Jouer à l’étranger fait partie de mon plan depuis longtemps, et je me sens prête à relever ce défi. Je sais que cela nécessitera des ajustements, mais je suis motivée par la perspective de découvrir une nouvelle culture et de jouer dans un championnat compétitif. Il y aura des matchs d’Eurocup. Mes deux seules appréhensions sont dues au fait de ne pas parler espagnol et de devoir partir sans mon chien.

MON NOM EST SEEHIA RIDARD

J’ai cette volonté de rendre ma maman fière, mon frère et ma sœur également. En plus, désormais j’ai changé de nom. Mes maillots sont au nom de ma mère. J’ai toujours eu la volonté de porter le nom de famille de ma mère. Du moins, depuis la première fois où j’ai porté le maillot de l’Equipe de France, c’est -à -dire en U15. Ça ne s’est pas fait avant car les procédures pour changer de noms étaient beaucoup plus compliquées et payantes. Depuis deux ans on peut changer de noms juste en allant à la mairie, si l’on souhaite prendre le nom d’un de nos deux parents. Cela a mis plus de temps car je suis née à la Réunion. 

Je dis que je manquais de petites choses, mais en réalité je ne manquais de rien. Je ne veux pas que les gens me perçoivent comme une personne triste. Je ne veux pas qu’ils se disent “Oh la pauvre”. Au contraire, je veux qu’ils se disent: “il s’est passé ça, mais regarde la femme qu’elle est maintenant”. J’aimerais avoir cette influence. Tout le monde ne réussira pas dans le sport. Mais peu importe le domaine dans lequel tu évolues, il faut se donner les moyens pour réussir. Croire en ses rêves, se fixer des objectifs et s’y tenir. Avec du travail et de la foi, on peut réussir.

A choisir, je préférerais être plus inspirante dans la vie dans sa globalité, pas seulement sur le plan sportif. Pouvoir encourager et inspirer aussi une fille qui ne fait pas nécessairement de sport mais qui essaie de se débrouiller.

Je trouve qu’en terme d’impact, Diandra Tchatchouang est la référence en France, des athlètes qui ne sont pas uniquement des athlètes, au niveau des basketteuses en tout cas. 

A la Seehia du passé, je dirais de continuer à travailler comme elle le fait car elle est en train de se rapprocher de ses rêves. Mais qu’il ne faut rien prendre pour acquis et qu’il faudra toujours batailler pour avoir ce qu’elle veut. Même si au début cela ne paraissait pas bien lancé ou en tout cas pas comme tout le monde, on va y arriver. Au-delà de ma personne, j’aimerais dire à tous les jeunes de rester eux-même, de trouver qui ils sont, ce qui les fait vibrer dans la vie, d’y aller et de poursuivre les rêves qui vont avec.

SEEHIA RIDARD