
Clarince Djaldi-Tabdi «Je n’aime pas être vulnérable…»
Je suis née à Bordeaux, mon père est médecin, ma maman, mère au foyer. Elle s’occupe de ma petite sœur, mon petit frère (les jumeaux) et moi. J’ai aussi un grand frère et une grande sœur du même père, mais pas de la même mère. Ils sont nés et ont toujours vécu à Bordeaux.
MON ENFANCE EN GUYANE
À l’âge de 3 ans, je pars vivre avec mes parents en Guyane, où mon frère et ma sœur naissent. Je grandis là bas jusqu’à mes 8 ans, puis je reviens en Métropole dans le Beaujolais, pour finalement venir habiter à Orléans.
J’ai la chance de beaucoup voyager grâce à mon père, et je pratique énormément d’activités comme le théâtre, le piano, ou encore le judo. Mes parents pensent qu’il est important pour mon éducation de faire ces activités.
Je garde de très bons souvenirs de la Guyane. On est à 30 minutes du Brésil. On évolue dans le partage, à Saint-Georges, une petite commune où tout le monde se connaît. Mon père est médecin à l’hôpital, donc il est populaire dans la commune. Mes professeurs d’écoles sont aussi amis avec mes parents. Il est facile de créer du lien avec les gens.
À l’école, je suis sérieuse, je sais que c’est très important pour mon père. À la base, sa vision pour nous, c’est l’École Polytechnique. Cela fait partie des grandes écoles. Je ne sais pas si c’est vraiment son but, mais c’est le genre d’école dont il me parle. De son point de vue, c’est le cursus qui permet d’avoir une bonne vie et un bon salaire. Il m’en parle très souvent.
En bref, la Guyane, c’est beaucoup de joie et de fêtes, j’ai même eu un petit singe et un phacochère comme animal de compagnie. C’est un autre style de vie.
Petite, je vis vraiment dans le monde des bisounours, très princesse, etc. Ma chanteuse préférée, c’est Laurie, et même si ma vie en Guyane est magnifique, la métropole me fait rêver par rapport à tout ce que l’on voit à la télé. J’ai envie de voir la neige, ce genre de choses. Lorsqu’on m’apprend que l’on va revenir vivre dans le beaujolais, j’ai tellement hâte. J’ai cette excitation en moi.
LE RETOUR EN MÉTROPOLE
C’est vrai, la transition est excitante au début, puis quand je découvre la neige, je n’apprécie pas très longtemps. Personnellement, ce n’est pas mon délire. Mais cela reste facile pour moi de m’adapter. J’intègre une nouvelle communauté également, car en Guyane, je ne suis entourée que de personnes noires. En arrivant dans ma petite commune du Beaujolais, je ne suis qu’avec des personnes blanches. Je fais partie des seules filles noires, mais je m’intègre plutôt bien. Mon père étant médecin, on habite dans une grande maison. Je ne rencontre pas de problème durant mon éducation. Je ne ressens aucun manque.
UNE PREMIÈRE EXPÉRIENCE FACE AU RACISME
Je ne sens pas de différence particulière en arrivant dans le beaujolais, mais c’est là-bas que j’ai plus ou moins été confronté au racisme pour la première fois. En réalité, je pense que c’est la seule et unique fois où j’ai vraiment été victime de racisme dans ma vie.
Je joue à chat avec mes camarades dans la cour de récréation, puis je touche un garçon, qui ensuite s’énerve et m’insulte de sale noire. Je le pousse aussitôt, car je suis réellement blessée. Son acte est frontal. Je vais donc immédiatement en parler à ma maîtresse qui réagit très bien à l’époque et je la remercie pour cela d’ailleurs.
Elle réunit tous les élèves de la classe et les sensibilise en leur parlant de cet événement. Elle les interroge et demande leur avis sur la situation qui vient de se dérouler afin de faire comprendre au garçon que ce qu’il vient de faire n’est pas correct.
Je suis quelqu’un de nature très timide, pas du genre à aller au front pour chercher le conflit. D’ailleurs je n’aurais jamais pensé réagir de cette façon à cette agression. Mais ça a été plus fort que moi, car cela me touche profondément.
Le fait d’être insulté par rapport à sa couleur de peau est très choquant pour moi. Je ne sais pas si à l’époque, j’ai conscience du fait que ce soit du racisme. Je sais seulement que ça me fait mal.
C’est vraiment la seule fois où je pense avoir été confrontée à ça de manière frontale. En tout cas, c’est le seul événement qui me marque réellement à ce sujet.
MON PREMIER LIEN AVEC LE SPORT
Plus jeune, je ne m’intéresse pas au sport, plus que ça. Mes parents me poussent en m’inscrivant au judo, dans un premier temps. Ce que j’aime, c’est la compétition plutôt qu’un sport en particulier. Le fait de m’amuser et de rencontrer de nouvelles personnes aussi.
J’ai toujours été une compétitrice, mais je fais du judo parce que l’on m’y a inscrite et non pas parce que je suis inspirée par une chose que j’ai vu. C’est pareil pour le basket, je suis grande taille, donc les gens me disent que je devrais faire du basket. C’est de cette façon que je commence ce sport. Je dis toujours que le basket m’a choisi plutôt que l’inverse.
Il faut savoir que lorsque je suis en Guyane, le sport ce n’est pas du tout mon délire. Là bas, on joue énormément au foot au vu des frontières avec le Brésil. Lorsque l’on fait du foot, je suis toujours choisie en dernière, on m’envoie au goal. J’évite les ballons, je ne veux absolument pas me faire mal. Je suis le cliché de la fille girly.
Honnêtement, si on ne m’avait pas dit de faire du sport, je ne serais jamais allé chercher quoi que ce soit. Mais une fois dedans, c’est la compétition. Le fait d’avoir un but, ça te transcende.
C’est tout de suite important pour moi, car dans un premier temps, au judo, j’ai certaines facilités. A une compétition, je dois combattre une fille plus légère que moi. On m’indique que peu importe l’issue du combat, cette fille aura également la médaille d’or. J’en ai pleuré, car cela me semble injuste. Je gagne et on obtient la même récompense, pour moi c’est une injustice. Si je gagne, vous ne pouvez pas lui donner la même valeur que moi. C’est de cette façon que j’ai compris que la compétition était en moi. Puis cela s’est traduit ensuite dans le basket.
LE BASKET ET MOI
Je commence le basket à 11 ans. Je fais un an en club dans le Beaujolais, puis un an dans le Loiret et j’intègre ensuite le Pôle.
Au début, je suis très catastrophique au basket. Je ne sais pas dribbler, je ne sais pas tirer à l’extérieur. Je suis juste grande de taille. J’essaie de faire au mieux, mais je n’ai aucune notion de basket. Par contre, je progresse assez vite. Quand je joue au basket au collège, il y a une différence de niveau par rapport aux autres, même si je ne fais rien d’extraordinaire. On me complimente pour ça, donc ça me fait plaisir et je prends confiance en moi.
Mais à ce moment, je n’ai pas forcément d’objectif. On m’appelle pour des sélections à Lyon, j’y vais quand j’en ai l’occasion car c’est gratifiant, mais je ne me donne pas tous les moyens pour. Mon père travaille et ma mère n’a pas le permis, donc je n’y vais pas tout le temps et ça ne me pose pas plus de problème que ça.
Même lors des tests pour le pôle, je ne me rends pas compte que je peux être prise. La plupart des filles attendent leur lettre tandis que je n’attends rien du tout. Avec ma mère, nous ne sommes pas en alerte de tout cela. J’en suis complètement détachée. Pour l’anecdote, lorsque je suis sélectionnée pour un camp interzone, je reçois une convocation que j’ouvre seulement la veille du stage et mon père me demande si je souhaite y aller. Je lui réponds tout naturellement “bah non”. Et je n’y suis pas allé.
Même à mon arrivée au pôle, les filles se préparent tout l’été. Moi je ne fais rien de mon côté à part chiller et profiter avec ma famille. Je découvre vraiment ce qu’il se passe le jour J et je suis vraiment hors de forme. Je ne comprends pas ce qu’il m’arrive. Mais très vite, le pôle me permet de comprendre ce qu’est le haut niveau et ce que cela exige.
TRANSFORMER LA PRATIQUE EN PASSION
Au-delà du fait de pratiquer le basket, je ne m’intéresse pas au sport plus que ça à l’origine. C’est seulement lorsque j’entre à l’INSEP que je commence à être attentive aux joueuses de l’équipe de France. Avant ça, c’est vraiment le basket et moi, le basket et mon équipe.
Le pôle de Bourges me permet également de me pencher un peu sur les joueuses de l’équipe professionnelle avec Celine Dumerc, Ana Kotokova, Endy Miyem, etc. Je pense que c’est vraiment lorsque je découvre le basket de haut niveau au pôle puis à l’INSEP, que je me passionne pour le sport. Pour dire à quel point je ne suis pas “basket” à la base, j’écris le mot basket avec “qu” au lieu du “k”. Je suis vraiment déconnectée.
LÀ PAR HASARD ? NON.
En réalité, ce sont plusieurs choses auxquelles je ne m’attends pas qui me permettent de réaliser que j’ai du potentiel. Ma première sélection en équipe de France jeune par exemple.
Ce sont toutes ces petites victoires qui donnent envie d’aller plus loin et qui me font m’intéresser aux personnes qui sont déjà dans ce sport. De plus, contrairement à beaucoup, je m’intéresse d’abord au basket féminin avant toute chose. Je ne regarde pas la NBA ou la PRO A. Je connais Tony Parker et consorts, mais je ne suis pas leurs matchs. Je pense que le fait de ne pas avoir de basketteurs dans ma famille fait que je ne m’y suis jamais vraiment intéressée auparavant. Nous, c’est du foot que l’on regarde à la maison.
L’ÉLOIGNEMENT FAMILIAL
Je n’ai pas de mal à quitter le cocon familial en allant au Pôle. Cette nouvelle aventure m’excite tellement que je n’ai pas “le mal du pays” et finalement, je rentre chez moi chaque week-end donc je n’ai pas le sentiment d’être loin de ma famille.
C’est ce qui me permet aussi de m’adapter plus facilement à l’INSEP, lorsque là, on ne rentre plus chaque week-end à la maison.
C’est une transition progressive. A contrario, c’est dur pour ma maman de me voir quitter le foyer car je suis sa première fille. Moi, ça ne m’affecte pas plus que ça, à part peut-être la première fois où je dois lui dire au revoir, c’est un peu triste.
En revanche je me rends compte qu’à partir de cette période là, mes frères et moi avons chacun grandi d’une manière différente. A un certain moment, on doit réapprendre à se connaître.
Il y a des étapes de ma vie où je suis quotidiennement avec certaines personnes, beaucoup plus qu’avec mon frère et ma sœur. Ces personnes extérieures à ma famille sont plus présentes, par conséquent mes frères vivent les moments de ma vie de manière différente que ces personnes et inversement.
Je réalise vraiment cela, lors de la période Covid car j’habite de nouveau avec ma sœur à ce moment-là. Lorsqu’elle rentre des Etats-Unis, nous sommes confinées toutes les deux. La réadaptation à chacune, est spéciale, car nous avons chacune développé nos habitudes et ce n’est pas toujours simple de faire en fonction de l’autre.
Mais c’est également un des meilleurs moment pour nous deux. Cela faisait un moment que nous n’étions pas restés autant de temps ensemble. Nous sommes très proches, c’est la personne avec qui je rigole le plus dans ce monde. On a nos délires, on rigole, on danse, etc. Et je sais que lorsque je rentre chez moi, je veux vivre ces moments là. Que l’on soit séparé, ok, ce n’est pas la fin du monde, mais quand on peut avoir des moments ensemble, il est vrai que j’adore être avec mes frères et pouvoir profiter de leur présence.
SE CONSTRUIRE EN TANT QUE FEMME
Être dans le monde du basket peut permettre d’effacer certaines insécurités, ou pas. Pendant longtemps, le fait d’être grande de taille, me fait marcher le dos courbé, les épaules baissées. J’essaie de me rétrécir. Je n’aime pas voir les gens se retourner pour me regarder du fait que je sois grande.
Pendant longtemps, c’est un complexe pour moi d’être grande. Il y a des anecdotes qui paraissent insignifiantes, mais lorsque tu es une enfant, ça te marque. Quand tu es petite et que tu ne peux pas faire les jeux au Mc Do, car ta taille dépasse la norme des enfants de ton âge. Quand tu as un esprit très Disney, mais qu’il n’y a pas ta taille en robe de princesse.
A un moment, même mon poids me paraît être un problème. Au judo par exemple, je suis plus lourde que mes adversaires et on me le fait comprendre. Même si ce n’est pas forcément pour me dire que je suis grosse. Ce sont des choses qui me font pleurer.
Mais c’est vrai que lorsque tu rentres au pôle puis à l’INSEP et qu’il y a des filles de ta taille, ce sont des choses que tu ressens moins. Ça aide à accepter ses différences. En tout cas, le basket me permet d’avoir de plus en plus confiance en moi.
LES DÉBUTS DANS LE MONDE PRO
La transition du monde amateur au monde professionnel se fait plus ou moins facilement. Le fait de quitter l’INSEP après trois ans et de devenir indépendante est plutôt cool au début. C’est vrai que la troisième année à l’INSEP me semble très longue donc j’ai hâte de découvrir ce nouvel univers et de pouvoir enfin en faire mon métier.
En revanche, tu te rends rapidement compte qu’à l’INSEP tu es très accompagnée. Là, tu te retrouves livrée à toi-même. Se nourrir, ce n’est pas ça le souci car je sais m’adapter. Mais certaines choses qui semblent banales comme la sécurité sociale, les factures… Les choses de la vraie vie finalement, sont des choses que tu dois intégrer dès l’âge de 18 ans.
Lorsque tu es à l’INSEP, tu fais aussi partie des joueuses majeures. Tu joues tout le temps et tu ne t’attends pas forcément à devoir repartir plus ou moins de zéro dans le monde pro car il faut faire sa place.
Tu penses que tu vas arriver, être professionnelle et jouer. Mais non, il faut repartir au boulot. Je suis quelqu’un qui bosse donc je fais donc du travail individuel.
J’essaie de continuer mes études en parallèle, mais c’est un rythme où rien n’est adapté à l’époque. Même si tu demandes le statut de sportive de haut niveau. La fac n’est pas à Arras donc je dois prendre le train tous les matins. Il faut que je trouve quelqu’un pour récupérer les cours que je rate. C’est assez compliqué.
Tout ce qui est mis en place à l’INSEP pour avoir le double cursus et réussir, finalement, tu n’as plus rien de tout ça. Il faut continuer les études mais aussi travailler davantage pour gagner ta place dans l’équipe. C’est une transition difficile au début.
Je ne vis pas mal le fait de ne pas être accompagnée, mais je pense qu’il est difficile pour moi d’accepter le fait de m’entraîner durement chaque semaine et de ne pas jouer. La première année est compliquée, mais grâce à mon acharnement au travail, je gagne ma place dès la deuxième année en étant la petite de l’équipe.
L’entourage est très important et j’ai la chance d’être avec Migna Touré, qui a déjà vécu ça et qui m’aiguille. C’est un pilier pour moi lors de ma première année à Arras. Au début, je perçois même le fait de retourner jouer avec les espoirs comme un échec. Mon but n’est pas de jouer en espoir, mais en pro. C’est plus tard que je comprends que c’est nécessaire à ma progression. Ça me permet de me rassurer, d’emmagasiner de la confiance la première année.
LES DIFFICULTÉS
En tant qu’athlète je pense que les choses les plus difficiles sont les blessures et le fait de se détacher des choses que tu ne peux pas contrôler. Je ne sais pas si je peux dire que mes blessures me ralentissent mais elles me font rater certaines opportunités.
Il faut intégrer le fait que personne ne t’attend. Tout le monde avance et toi tu es là. L’impression de devoir tout recommencer de nouveau, c’est vraiment compliqué. Franchement les blessures, ce sont vraiment les périodes les plus dures de ma carrière.
Je ne souhaite de blessures à personne, mais il faut se dire que ce n’est pas insurmontable. Lorsque tu passes ces étapes, tu peux être fière de toi, car il est plus facile d’abandonner. Mais je ne le fait pas. Être dans le doute par rapport à ton corps, puis repartir dans le doute par rapport à ta tête et devoir surmonter ça. C’est ce qui est dur.
Ensuite je dirais qu’il faut se détacher des choses que tu ne peux pas contrôler car parfois tu penses mériter plus, mais quelqu’un en décide autrement.
Aussi, lorsque tu te fixes des objectifs et que tu ne les atteints pas au moment où tu le souhaites, ce sont des choses qui me mettent dans le down. Ça m’empêche parfois d’apprécier ce que j’ai déjà en face de moi et ce que j’ai déjà accompli. C’est aussi pour cela qu’il ne faut jamais prendre les choses pour acquises. Mais aujourd’hui, j’ai beaucoup de recul. J’ai évolué.
La vision que j’ai du monde professionnel est très différente de celle que j’avais étant jeune. On te dit toujours que le travail paie, je suis d’accord, mais il y a d’autres facteurs qui entrent en jeu. Chacun son chemin, chacun son timing, parfois ce n’est pas seulement une question de basket, c’est plus grand que toi. Parfois, tu peux donner le maximum sur et en dehors du terrain, mais tu n’as pas l’opportunité que tu attends. Cette chose-là, je l’ai comprise en rentrant dans le monde professionnel, mais ça n’a pas toujours été facile à accepter.
Après il faut se dire que c’est une vision propre à chacun. Cela ne veut pas dire que tu as raison ou que tu as tort. Que tu mérites mieux ou que tu ne le mérites pas. Je sais en tout cas, que l’on ne m’a rien donné et que tout ce que j’ai aujourd’hui, ce n’est que par mon travail.
Avant je prenais les déceptions trop à cœur, puis lorsque j’ai fait cette introspection j’ai appris à mettre de la valeur sur tout ce que j’accomplis, car je suis allé le chercher et que j’ai encore plein de choses à aller chercher.
BLESSURES PHYSIQUE ET MENTALE
La première grosse blessure est très compliquée, j’enchaine le championnat du monde U19 avec les 92 et le championnat d’Europe U16. Je me pète avant les quarts de finale. Je pense que je vais rater seulement trois mois. On me diagnostique une blessure au ménisque pour finalement m’annoncer les croisées. Je suis à l’écart de l’équipe. Je vois tout le monde progresser pendant que moi, je marche à peine. C’est difficile à vivre car je fais pratiquement une saison blanche. Heureusement, j’ai le soutien de mes amis.
La deuxième blessure de ma carrière, la luxation à l’épaule, est plus difficile sur le plan mental. Lorsque je reviens, j’ai le sentiment d’être nulle. J’ai peur de ne jamais retrouver mon niveau. Je perds toute confiance en moi. Je gagne deux mois sur ma rééducation physique, mais j’en perds deux autres car mentalement ça ne va pas. Jusqu’au jour où je switch et je retrouve mon niveau. Je me sens même mieux qu’avant sur le terrain.
La dernière blessure est particulière. Comme tu as déjà vécu tout ça, tu penses savoir ce qui t’attend. Je pense être prête à le vivre de nouveau. Mais finalement, c’est tout aussi dur, car je fais un pas en avant, deux pas en arrière. C’est de pire en pire. C’est une période où je pense avoir raté pas mal d’opportunités.
Je termine une saison en étant plus ou moins satisfaite, je signe mon contrat à Basket Landes où je vais jouer l’Euroleague. Pendant l’été j’ai une convocation pour l’équipe de France 5×5. J’ai tout ça, mais on me fait comprendre que mon été est terminé. J’essaie de relativiser en me disant que le plus important reste la saison. Pendant l’été je bosse pour être prête. J’arrive et on m’annonce qu’en fait non. J’ai encore un mois de convalescence, puis deux, puis trois. Et finalement, on m’arrête un peu plus de 6 mois.
Je commence à avoir plein d’interrogations et remettre pas mal de choses en question sur la suite de ma carrière. Quand j’arrive finalement à comprendre mon corps et guérir, je suis tellement pressée de reprendre que je me mets une pression énorme, car j’estime avoir déjà raté tellement d’opportunités .
Au final, je passe à côté du fait que je suis en bonne santé et sur le terrain. Par conséquent je fais des mauvaises performances. Je n’ai pas confiance, je veux me précipiter alors qu’il n’y a aucune pression à avoir.
Je prends beaucoup de recul sur cette étape car elle m’apprend énormément. Ça me permet d’être résiliente et de ne pas prendre les choses pour acquises. Ça me permet également de savourer chaque petite victoire et d’y attacher de l’importance. Je me détache aussi des choses que je ne peux pas contrôler.
Je ne pense pas avoir été en dépression, car je n’en connais pas réellement les symptômes. Mais l’an passé, je vis des périodes de down. Je me retrouve dans un nouvel environnement. Je viens pour le Basket et d’autres choses que je ne peux pas avoir car je suis blessée. J’ai donc des moments où je me sens seule. Physiquement ça ne va pas. Je pleure beaucoup. Mais je ne sais pas si je suis en dépression. Je ne pense pas m’être réveillée un jour en voulant tout arrêter, en ayant marre de faire ce que je fais. Je ne suis pas bien surtout parce que c’est long et que j’ai peur d’avoir fait tout ça pour rien.
Je pense que parfois la dépression ne s’explique pas. Il me semble que ça se matérialise par le fait de ne plus avoir le goût pour rien du tout, mais je n’en suis pas sûre. Je ne suis pas assez informée.
Je ne suis pas quelqu’un qui montre quand ça ne va pas. Je n’aime pas être vulnérable devant les gens. Je traverse une période qui détermine ma vision sur pas mal de choses. Aujourd’hui, je sais dans quoi je dois mettre mon énergie et où je ne dois plus la mettre.
C’est une période qui me permet d’apprendre à être uniquement avec moi-même car à la base, je suis une personne qui va beaucoup vers les gens et qui aime énormément partager.
Je ne fais pas ça en attendant quelque chose des autres en soi. Mais à cette période là, je ne sais pas pourquoi, j’ai besoin que ce soit les autres qui viennent vers moi, pour une fois. J’ai besoin de ça. Je l’ai de la part de certaines personnes auxquelles je ne m’attends pas du tout et je ne l’ai pas de la part de certaines personnes auxquelles je ne m’attends pas non plus. A partir de là, je hiérarchise. Je me détache de certaines choses. Je me concentre sur moi et mon bien être.
Aujourd’hui, je reviens vers ma personnalité de base, même si il y a une période où je me suis sevrée et je me suis empêchée de faire des choses à cause des déceptions. Par exemple, j’adore cuisiner pour les gens, à un moment je me suis dit que je ne le ferai plus, mais au final, je suis comme ça. C’est mon love langage. Je ne vais pas changer car d’autres ne sont pas comme ça.
Je dis que je me suis sentie seule la saison dernière, mais je n’ai jamais vraiment été seule. Je me rends compte que même dans mon équipe, chacun avait son combat. Mais il y avait toujours une personne pour me tendre la main. Et pour ça, je suis reconnaissante. Ce sont des choses que je vois, et que je garde en moi.
Il faut se dire que tout le monde vit quelque chose mais parfois on ne s’en rend pas compte car on est dans notre bulle. L’an passé, la saison est difficile pour moi et pour l’équipe mais malgré ça, on en ressort avec un titre, donc je suis quand même reconnaissante de tout ce qu’il se passe.
J’ai grandi, j’ai eu mon premier titre. Je suis fière de la femme que je deviens grâce à toutes ces choses là.
MA VISION ET MES INSPIRATIONS
J’ai beaucoup d’ambition. j’ai envie d’aller chercher ce que je n’ai pas encore réussi à faire pour l’instant. c’est comme ça que je vois les choses. Je ne sais pas quand je vais arrêter ma carrière, mais si mon corps me le permets et mon plaisir au basket reste tel qu’il est aujourd’hui, j’ai hâte de voir ce qui m’attend car j’ai encore de belles choses à faire.
Il y a quelques années, je n’avais pas confiance en moi comme aujourd’hui. Je me sens de plus en plus en phase avec moi-même et la basketteuse que je suis. Je n’ai que 28 ans. dans mon équipe ça parait vieux mais en soit, je ne suis pas si vieille que ça.
Il faut que j’atteigne la meilleure version de moi-même pour me créer les opportunités que je mérite et à la fin je pourrais m’assoir et me dire : “Ok tu as fait ça”. Je sais où je veux aller et on verra à la fin.
Au-delà du basket, parce que “ball is a part of my life, but is not all my life”, j’ai différentes passions. Je suis quelqu’un de très créative, qui adore énormément la mode et la musique. J’ai envie de créer des projets autour de ça. C’est en tout cas, dans ce domaine là, que j’envisagerai une reconversion.
Je suis très fan de Beyonce, mais pas seulement pour sa musique comme on pourrait le penser. C’est en fait tout ce qu’elle représente, ses valeurs, son abnégation au travail et le fait qu’elle ne se fixe aucune limite.
Je dirais Beyonce et Rihanna, m’impressionnent toutes les deux pour tous ces aspects. Je pense même être plus inspirée par Rihanna que par Beyoncé sur l’aspect business, et le côté mode. Il y a aussi Issa Rae dont je m’inspire beaucoup. Ces femmesi m’inspirent et me motivent.
Maintenant, voir des personnes faire ça, c’est beau, être capable de le faire, c’est autre chose. J’ai envie de me donner les moyens et je travaille pour faire certaines choses à mon échelle.
L’IMPORTANCE DE LA REPRÉSENTATION
Ce sont des modèles que j’ai su prendre avec le temps comme inspiration, mais je n’ai pas toujours eu de modèle d’identification. En tout cas, des femmes noires je n’en ai pas le souvenir, surtout physiquement.
Étant plus jeune, ma référence sur le fait d’avoir des lèvres pulpeuses, c’est Angelina Jolie. Mais ce n’est pas une autre femme noire. Je n’ai pas de souvenir de représentation de femme noire, hormis les chanteuses de zouk en Guyane, mais je ne pense pas que cela a créé de problèmes identitaires chez moi.
Je ne pense pas avoir été complexée, même si j’ai eu cette période où je voulais avoir les cheveux lisses. Ça n’a pas duré bien longtemps. Je n’ai par exemple jamais eu l’envie d’avoir la peau plus claire, car mon modèle au quotidien, c’est ma mère.
Elle a toujours été complimenté sur le fait d’être une belle femme, d’avoir une belle couleur de peau. Je voulais être comme ma mère en grandissant. C’était elle mon premier exemple. Beyoncé, Rihanna, etc. c’est arrivé beaucoup plus tard.
Aujourd’hui, ça a beaucoup évolué, la représentation. Que ce soit pour les femmes noires, ou les femmes de manière générale. Tu peux te dire : “je veux être la prochaine Marine Johannes, la prochaine Endy Miyem, la prochaine Yacoubou, etc.” Je trouve ça encourageant pour la suite.
Désormais, je fais mon parcours et même si ce n’est qu’une seule jeune fille qui arrive à se voir à travers mon parcours, ça sera déjà quelque chose de gagné. Ça peut paraître bête, mais par exemple, en étant à Basket Landes, il y a très peu de noirs à Mont-de-Marsan. Mais il y a une famille dont la maman est noire et ses filles métisses. La maman est très heureuse de nous avoir dans l’équipe car ses filles peuvent voir des filles comme nous, être dans une équipe qui brille, qui performe et j’en suis la capitaine. Je pense que ça aussi, c’est un message important qu’elle peut transmettre à ses filles. Elle me l’a déjà dit. Elle me le fait ressentir.
Ce sont des choses auxquelles je n’aurais pas prêté attention auparavant. Mais le fait de l’entendre, ça me touche et ça me fait prendre conscience de l’importance de la représentation.
Il y a quelques jours, j’ai participé au camp de Céline Dumerc, avec Marie Pardon et Sixtine. Marie a 23 ans et il y a plein de jeunes filles avaient son maillot. Elles disaient que c’est grâce à Marie qu’elles avaient envie de devenir basketteuse. Ça m’a tellement touchée que j’avais envie de pleurer.
Alors si je devais dire un mot à la Clarince d’il y a quinze ans, je lui dirais de rester elle-même. De ne pas abandonner et de continuer à rêver grand.
CLARINCE DJALDI-TABDI
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