Kim Hyacinthe «L'athlétisme m'a aidé à tenir»

Pendant des mois, j’étais comme un robot. Je faisais ce que j’avais à faire, mais sans émotion. L’athlétisme m’a aidée à tenir, mais j’étais dans un état de vide total.

MON PARCOURS, MA RÉSILIENCE, MES ASPIRATIONS

Je suis née à Montréal, dans une famille d’origine haïtienne. J’ai grandi dans un quartier très communautaire, entourée de ma grand-mère, de mes cousins et de mes oncles qui étaient toujours présents. On n’avait pas beaucoup de moyens, mais on ne manquait de rien. Il y avait parfois des périodes difficiles, mais je n’ai jamais ressenti un réel manque. Mes parents m’ont toujours inculqué la valeur du travail et du dépassement de soi. Mon environnement familial était rempli d’amour, de soutien et d’entraide. Ça nous donnait un fort sentiment d’appartenance.

Je pense que mes origines m’ont également aidé. Haïti, c’est une histoire de résilience. C’est le premier peuple noir à avoir obtenu son indépendance, et ça, ça marque. J’ai grandi avec cette idée que rien n’est impossible si tu travailles dur. Ma famille m’a toujours rappelé d’où je venais, l’importance d’être fière de mes racines. Même si je suis née à Montréal et que je n’ai jamais vécu en Haïti, cette culture fait partie de moi. Je parle créole, j’ai grandi avec la musique haïtienne, les traditions. Le 1er janvier, par exemple, on a la soupe joumou, c’est un symbole de liberté pour le peuple haïtien, et ça a toujours été important pour moi de garder ces traditions vivantes. Cette force intérieure que j’ai, cette détermination à ne jamais lâcher, je pense qu’elle vient en partie de là.

MES DÉBUTS EN ATHLÉTISME

Tout a commencé grâce au basket. J’étais une enfant très active, toujours en train de courir partout. Une amie de mon équipe m’a un jour fait remarquer à quel point j’étais rapide et m’a conseillé d’essayer l’athlétisme. Au début, je n’y ai pas vraiment prêté attention, mais elle a insisté. Je me souviens encore de ma première course scolaire : je portais des chaussures de basket-ball et un t-shirt trop grand. Je ne savais pas trop à quoi m’attendre, mais une fois que le coup de départ a retenti, j’ai couru comme si ma vie en dépendait. Ce jour-là, un coach m’a repérée et m’a encouragée à poursuivre dans cette voie. À partir de là, tout s’est enchaîné.

Lors des Championnats du monde jeunesse qui se déroulaient au Canada et auxquels j’assistais pour la première fois, j’ai eu une révélation. J’ai vu les athlètes de l’équipe Canadienne sur la piste, et ça m’a inspirée. Je me suis dit : « C’est ça que je veux faire ! ». Deux ans plus tard, j’y étais, réalisant mon rêve de représenter mon pays à l’international. Cette expérience a renforcé ma détermination à poursuivre cette carrière.

Ma famille m’a toujours soutenue, mais à une condition : que je continue mes études. Ma mère insistait beaucoup sur l’importance de l’éducation. Pour elle, peu importe à quel point j’étais talentueuse, l’école passait avant tout. Heureusement, j’étais disciplinée et organisée, donc j’ai toujours pu concilier le sport et les études.

Concernant mon image, j’ai toujours eu une relation particulière avec mes cheveux. Petite, je les portais longs, mais en grandissant, j’ai coupé court. Au début, c’était un choc pour certaines personnes dans mon entourage. On valorise souvent les cheveux longs et lisses comme un standard de beauté. Avoir les cheveux courts, c’était presque un acte de rébellion.

En tant qu’athlète noire, il y avait aussi cette question de la féminité. On associe souvent le sport de haut niveau à une forme de masculinité. J’ai entendu des réflexions du genre « Ah, mais t’es pas trop féminine avec tes cheveux courts et tes muscles ? ». Mais pourquoi faudrait-il correspondre à un idéal unique ? Je me sens féminine à ma façon. La force, la puissance, c’est aussi une forme de féminité. Et honnêtement, je trouve que les cheveux courts me vont mieux ! Ça n’a pas toujours été facile de s’affirmer dans un monde où on attend de toi que tu sois conforme à certaines attentes, mais aujourd’hui, je suis totalement en paix avec mon image.

LA BLESSURE AVANT LES JEUX OLYMPIQUES 2016

C’était un cauchemar. J’étais à mon meilleur niveau, prête pour Rio. J’avais tout donné durant les qualifications, et je me sentais en pleine possession de mes moyens. Et puis, cinq jours avant le départ, tout s’est écroulé. J’ai senti une douleur intense, et j’ai immédiatement su que quelque chose n’allait pas. J’ai d’abord refusé d’y croire. Mon premier réflexe a été de me dire que ce n’était rien, que j’allais pouvoir récupérer rapidement. Mais les examens ont confirmé la blessure. C’était terminé. Je ne pouvais pas y aller.

Je me souviens être restée prostrée chez moi, incapable de parler à qui que ce soit. J’ai passé des nuits entières à pleurer, à revoir en boucle tout le travail que j’avais accompli. J’étais en colère, frustrée, dévastée. C’était une épreuve mentale autant que physique. Il m’a fallu des mois pour me relever. J’ai appris à prendre du recul, à me reconstruire différemment. J’ai compris que l’athlétisme, c’est plus qu’une performance sur une piste. C’est aussi une manière d’affronter l’adversité et de se réinventer après chaque chute.

Sur le moment, j’étais anéantie. J’ai même envisagé d’arrêter l’athlétisme. Mais après réflexion, j’ai compris que la résilience était essentielle. Cette blessure m’a appris à mieux écouter mon corps, à revoir mon entraînement et à adopter une approche plus intelligente pour éviter d’autres blessures.

LA SANTÉ MENTALE ET SES ÉPREUVES

La perte de mon coéquipier et de mon copain a été un tournant dans ma vie. C’est encore douloureux d’en parler, mais je pense que c’est important. Mon coéquipier est décédé lors d’un stage d’entraînement. On était plusieurs ce jour-là, à la plage. Il est allé nager et s’est noyé sous nos yeux. J’ai essayé de l’aider, mais c’était trop tard. Pendant longtemps, je me suis demandé si je pouvais faire quelque chose de plus. Ce genre de traumatisme, ça ne disparaît jamais complètement. Puis, quelques années plus tard, mon partenaire est décédé. C’était brutal, inattendu. Il souffrait en silence. Il a été diagnostiqué avec une dépression majeure, et un jour, il a mis fin à ses jours. Je n’arrivais pas à y croire. C’était extrêmement difficile pour moi de digérer cette réalité.

Pendant des mois, j’étais comme un robot. Je faisais ce que j’avais à faire, mais sans émotion. L’athlétisme m’a aidée à tenir, mais j’étais dans un état de vide total. Mon coach a fini par me confronter en me demandant si je voulais vraiment continuer. Il voyait que je n’étais plus la même sur la piste. J’ai pris le temps de réfléchir et j’ai choisi de me battre. C’était difficile, mais petit à petit, j’ai réussi à retrouver du plaisir dans mon sport. Aujourd’hui, je porte ces pertes en moi, mais elles ne me définissent pas. Elles m’ont rendue plus forte, même si je ne l’ai pas vu tout de suite.

MON PLUS GRAND MOMENT DE FIERTÉ

Remporter le championnat du monde universitaire a été un moment inoubliable. Mais au-delà des titres, ce qui me rend le plus fière, c’est ma capacité à persévérer malgré toutes les épreuves. Le sport est un terrain de jeu où l’on doit constamment se dépasser, et j’ai appris que la véritable victoire est d’être toujours debout après les tempêtes.

MES PROJETS APRÈS MA CARRIÈRE

J’adore la mode et la création. Depuis toute petite, j’aime expérimenter avec les tissus et les accessoires. J’ai exploré le mannequinat, mais c’est un milieu difficile, où il faut sans cesse prouver sa valeur. J’aimerais aussi transmettre mon expérience aux jeunes athlètes, les aider à gérer la pression et à se préparer pour les réalités du sport de haut niveau.

UN CONSEIL À LA PETITE KIM

« Investis intelligemment ton argent ! » J’ai appris avec le temps que la carrière sportive ne dure pas éternellement et qu’il faut penser à l’après. Si j’avais pu mieux anticiper certaines choses, je l’aurais fait. La vie est dure, mais il faut avancer. Restez fidèles à vous-mêmes et n’ayez pas peur de repousser vos limites. Tout est possible avec du travail et de la persévérance.

KIMBERLY HYACINTHE